L'histoire mouvementée de la carte des crus du cognac : entre volonté de classification, pédagogie et interprétations artistiques.


I) La carte des crus des eaux-de-vie de Cognac : premières ébauches (1859-1887)

Le besoin de cartographier la région de production des eaux-de-vie de cognac au XIXème siècle s'inscrit dans une volonté d'identifier et de protéger un savoir-faire reconnu par tous mais copié par certains, au point de mettre en péril un produit dont la provenance est sujette à caution. Avec à la clé une confusion entre nom du produit et provenance.

Les Hollandais furent les premiers à classer les eaux-de-vie de vin de la façade Atlantique et celles produites à Cognac sont déjà reconnues comme étant supérieures donc plus chères. Mais dans les faits, on distille du cognac de La Rochelle à Bordeaux, jusqu'à ce que le décret du 1er mai 1909 ne jette les bases d'une zone géographique de production. Entre-temps, la recherche de l'origine de la typicité des eaux-de-vie charentaises à donné lieu aux premières cartes.

Les études géologiques d'Henri Coquand menées en 1859 vont permettre d'établir une première carte des crus prenant en compte les notions de milieu et de qualité. C'est un ingénieur de Saintes, Lacroix, qui va réaliser cette carte et identifier 4 crus différents : Grande Champagne, Petite Champagne, Premiers Bois et Deuxièmes Bois. Ils ne couvrent cependant pas toute la zone de production du cognac, le reste demeurant 'non identifié'

 

Première carte des crus établie selon les directives de Lacroix en 1861 (source : Gilles Bernard, 'La Formation des Crus de Cognac', Norois n°105, 1980)

 

On note l'absence des Borderies qui font parties intégrantes des Premiers Bois , ces derniers gravitant de manière discontinue autour des Petite et Grande Champagnes. Or il existe des subtilités et une variété de sols dans ces différentes zones...

C'est pour réparer ces imprécisions que C. Mouchet réalise la carte de 1887 basée sur l'opposition entre champagnes et bois. Elle est composée de 7 sous-appellations : Grande Champagne, Petite Champagne, Borderie (ou Premiers Bois), Fins Bois, Bons Bois, Bois Ordinaires, Bois Communs.

A noter qu'il mentionne également la Fine Champagne, assemblage de Grande Champagne (50% minimum) et de Petite Champagne dans la légende de la carte. Il semble que Remy-Martin ait déjà popularisé cette appellation à partir de 1848. Attention toutefois à ne pas confondre Fine Grande Champagne, Fine Petite Champagne et Fine Champagne...

 

La carte des crus de C. Mouchet (1887). On assiste à la naissance des Borderies encore appelées Premiers Bois. Grande Champagne, Petite Champagne et Borderies sont entièrement ceinturées par les Fins Bois.

 

Curieusement,  la Grande Champagne n'atteint pas encore la pointe du plateau Merpins et la Petite Champagne englobe Barbezieux mais s'arrête aux portes de Pons et de Jonzac. Nous observons surtout l'apparition des Borderies, également baptisées Premiers Bois. Sa surface ne représente encore que le tiers de celle que nous connaissons aujourd'hui. Désormais les Fins Bois ceinturent d'un seul tenant les premiers crus de Grande et Petite Champagnes tout autour de Cognac avec une enclave à Mirambeau où les eaux-de-vies sont déjà réputées auprès des maisons de négoce.

Quelle est l'influence de ces dernières dans les remaniements cartographiques successifs ? La question est légitime mais un autre évènement va changer la donne : l'arrivée du phylloxéra entre 1975 et 1895.

 

II) Émergence de l'appellation cognac : à la recherche de la carte parfaite (1887-1909)

 

La crise du phylloxéra va provoquer une pénurie d'eaux-de-vies, au point que le négociant Émile Pellisson propose en 1892 d'étendre les Bons Bois jusqu'à Niort, la Charente-Limousine, la Dordogne et jusqu'en Gironde à Blaye, Galgon et Coutras, aux portes de Libournes. Il pousse même les Bois Ordinaires jusqu'aux Sables-D'Olonnes ! Les années suivantes voient de nombreuses autres tentatives de classification.

Finalement, le décret du 1er mai 1909 officialise la délimitation de l'aire de production du cognac. La carte établie par J-M Guillon à cette occasion est une tentative de classement plus précis des eaux-de-vies qui sont habituellement placées de manière indistinctes en Fins Bois. Il y a bien quelques modifications en Grandes Champagne et Petite Champagne (cette dernière perd en surface, surtout du côté de Jonzac). Les Borderies s'étendent en intégrant Cherves et arrivent désormais aux portes de Cognac.

La grande nouveauté demeure la création des Premiers Bois que l'on distingue des Borderies et des Fins Bois. Ceux-ci forment un puzzle aux confins des Grande et Petite Champagnes et des Borderie en prenant en compte les cotes des eaux-de-vies auprès des négociants et certains micro-terroirs.  Au nord, ils s'étendent de Burie à Matha mais s'arrêtent avant Rouillac. A l'est, ils vont jusqu'à Saint-Saturnin avant Angoulême. Au sud et à l'ouest, on retrouve plusieurs îlots de Premiers Bois, dont une portion qui courre de Pons à Saintes, ce qui donne un peu de complexité à cette carte.

 

Carte remaniée selon le décret du 1er mai 1909. On distingue les Borderies (ex Premiers Bois) des nouveaux Premiers Bois puis des Fins Bois. L'ensemble forme un puzzle autour de Cognac.

 

Il est vrai qu'à certains endroits les eaux-de-vie de Premiers Bois sont reconnues comme étant de qualité supérieure. Mais certains ne sont pas satisfait de ce découpage, en particulier les communes précédemment rangées en Petite Champagne et désormais placées en Premiers Bois, voire même directement en Fins Bois comme certains villages à proximité de Jonzac. D'autres pour leur part ne comprennent pas pourquoi ils ne sont pas classés en Premiers Bois et doivent se contenter de rester en Fins Bois...

J-M Guillon inclus même quelques communes des Deux-Sèvres et de la Dordogne, dont Saint-Aulaye qui a vu renaître une production de cognac issu de ses vignes en 2021 grâce à la Maison Camus.

 

Grande première depuis 1974, Camus fait renaître le cognac en Dordogne avec Return To Saint Aulaye en avril 2021

 

Finalement, la volonté de précision du classement provoque des tensions et la carte de 1909 est rapidement reléguée au placard ou parfois même vouée à être détruite (cf : "Le Cognac à la Conquête du Monde" de Gilles Bernard, Presses Universitaires de Bordeaux, 2011). Aujourd'hui encore cette carte est source de nostalgie chez certains producteurs qui se revendiquent des Premiers Bois...

 

III) La carte de l'AOC cognac de 1936 enterre (temporairement ?) les débats mais pas la créativité (1938-2021)

La création de l'AOC le 15 mai 1936 vient rabattre les cartes et la région connaît depuis lors une certaine stabilité. Une nouvelle carte officielle est éditée en 1938 qui marque une rupture avec celle de 1909 sur de nombreux points. En particulier avec la disparition des Premiers Bois, ce qui a pour conséquence de revenir à des Fins Bois uniformes entourant les premiers crus comme en 1887.

La Grande Champagne inclut de nouvelles communes à l'est (Saint Même, Gondeville...) Pour sa part, la Petite Champagne gagne vers le sud en annexant les territoires perdus en 1909 et revient sur Jonzac. A noter la formation d'une curieuse enclave de Petite Champagne coincée entre la Grande Champagne et les Fins Bois sur la rive nord de Bourg-Charente, là où se dresse le château de Grand-Marnier Lapostolle. Les Borderies s'agrandissent également en intégrant Burie ainsi que les Pays-Bas de Cherves. On notera également la fusion entre les Bois Communs et Bois Ordinaires, là aussi dans un soucis de simplification.

 

Carte actuelle basée sur le décret du 30 novembre 1938. Simplifie t'elle à outrance les Fins Bois en supprimant les Premiers Bois et en revenant à la carte de 1887 ?

 

Le choc de simplification semble avoir enterré les débats concernant la classification des crus mais est-ce pour autant que la carte va demeurer figée au regard du changements climatique par exemple ? De nos jours, elle est surtout mise en avant par le BNIC avec sa charte graphique et ses couleurs orangées. Elle sert de support pédagogique, d'information, d'outil de rayonnement et de protection de l'appellation. C'est sans doute le document le plus consulté au sujet du cognac.

Aussi la tentation est grande de revisiter cette carte tout en respectant les contours et les mentions obligatoires afin de percevoir le cognac autrement. C'est le pari que relève la graphiste Virginie Drahonnet de l'agence Citrus Aurantium basée à Cognac. Amoureuse de sa région, elle cherche depuis un certain temps à en faire la promotion au moyen d'un objet, quand l'idée lui vient d'utiliser la cartographie. C'est désormais chose faite avec 3 premières oeuvres différentes révélées à l'occasion de la journée des spiritueux français le 31 mars 2021.

Virginie nous propose une première carte épurée et moderne en noir et blanc, plutôt tendance :

 

 

Puis une seconde carte des crus, plutôt classique mais revisitée. Haute en couleurs, elle offre d'avantage de 'peps' . A noter que celle-ci est personnalisable à la demande, par exemple en ajoutant le logo de votre entreprise, le point géographique d'une distillerie et en customisant les couleurs :

 

 

Enfin, une version bistro représentant une carte dessinée à la craie sur de l'ardoise. Avec pour ambition de désacraliser une carte parfois un peu trop institutionnelle :

 

 

Bien sûr, la gamme est susceptible de s'agrandir. Pour commander votre exemplaire, c'est ici que ça se passe :

En définitive et comme l'affirme Virginie Drahonnet dans sa démarche artistique, il est important de bien représenter tous les crus car la richesse du cognac est aussi dans l'assemblage de différentes eaux-de-vie. Quant aux cartes, elles nous rappellent combien la diversité des terroirs français demeure notre force.

 

 

JÉRÔME SAVOYE


 

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