Risque de Sécession aux USA : quels enjeux pour les vins & spiritueux français ?

Le marché US est particulièrement scruté par les professionnels des vins et spiritueux français qui espèrent voir un rebond des ventes pour cette fin d'année 2024 ou bien en 2025.

Toutefois, les élections présidentielles prévues pour le 5 novembre 2024 voient deux camps diamétralement opposés s'affronter sur fond de tensions politiques, économiques et sociales. De même, les récentes clashs entre la Texas National Guards et la Federal Border Guards concernant la souveraineté de la frontière entre le Texas et le Mexique fait ressurgir le spectre de la sécession.

Ne pas regarder cette éventualité revient à ignorer les évènements historiques car cela s'est déjà produit dans le passé. C'est peut-être même une question de résilience pour les entreprise qui commercialisent des produits dans cette zone.

Le contexte politique intérieur US est-il si problématique aujourd'hui au point de rappeler l'ancienne Guerre Civile Américaine ? A ce propos, comment les vins & spiritueux français furent-ils impactés par la Guerre de Sécession entre 1861 et 1865 ?

Dans son ouvrage 'La Chute Finale' publié en 1976, Emmanuel Todd prédit la 'décomposition de la sphère soviétique' grâce à son approche originale d'anthropologue historique. Pour ce faire, il se base sur les chiffres de la mortalité infantile, le taux de suicide de la population, l'addiction aux drogues, le mécontentement des classes populaires productives et les mauvais chiffres du commerce extérieur qui, par conséquent, entrainent une baisse de la productivité.

Or on constate une baisse du taux d'espérance de vie aux USA ainsi qu'une forte hausse de la mortalité liée aux overdoses (dont déjà + de 500000 morts dû au scandale des opioïdes).

On ne peut bien sûr pas transposer des chiffres, ni prévoir les évènements, même si on dit que l'histoire se répète. On peut cependant aborder la question des forces et faiblesses du marché américain en envisageant toutes les possibilités avec pour objectif d'améliorer ses capacités de résilience.
 

La guerre en Afghanistan, la course à l'armement et la déliquessence de l'appareil productif se traduisant par l'accident de Tchernobyl en 1986 achèveront de précipiter la chute du bloc de l'est 14 ans plus tard. Pourtant, les citoyens soviétique votent à 76% pour la décision de maintenir l'Union Soviétique lors du référendum du 17 mars 1991.

Ils ne voient pas la fin arriver, un peu comme les passagers du Titanic dont la voie d'eau causée par l'impact avec l'iceberg passe lentement mais surement au dessus des cloisons censées le rendre insubmersible.

La chute peut donc se produire très rapidement pour les protagonistes puisque l'Union Soviétique disparaît moins d'un an plus tard le 26 décembre 1991 !

Concernant les citoyens américains, ils sont encore moins nombreux à souhaiter se maintenir dans l'Union avec Washington, soit entre 70% et 66% selon les régions. Les chiffres datent de 2021 et la situation ne s'est pas arrangée depuis lors...

A propos des sécessionnistes, on constate que sur les 5 sous-groupes géographiques représentés, le sud supporte à 44% l'idée de quitter l'Union et la Côte Pacifique est à 39%. Les autres régions sont entre 30% et 34%. Dans le sud, 66% des sécessionnistes sont républicains alors que dans la Côte Pacifique, ils sont représentée à 47% par des démocrates. Dans le Heartland, la majorité des sécessionnistes sont des indépendants.

Les disparités entre ces zones ne sont pas seulement politiques, elles sont idéologiques (on parlait même de différences civilisationnelles à l'aube de la guerre de sécession de 1861-1865 entre le nord et le sud).

De même, certaines dissensions entre Washington et la Floride pour des raisons de sécurité sanitaire ou avec le Texas à propos de la souveraineté de la frontières avec le Mexique ont relancé la question de la sécession au grand jour dans les médias. La question de l'intensité de la rupture est primordiale car une guerre civile n'est pas souhaitable chez une nation qui possède plus de 5200 armes nucléaires.

La fracture allant en s'accentuant, que peut-on espérer pour le marché américain tel que nous le connaissons aujourd'hui ?

Avant la guerre, le sud est le partenaire privilégié de la France en termes d'importations avec 54% des achats en 1860 contre 90% en 1850, majoritairement du coton dont dépend l'industrie textile française. Cette baisse d'influence du Sud pendant cette décennie s'explique par le développement du chemin de fer qui a largement bénéficié à l'ouest et au nord des Etats-Unis, ce qui va augmenter les tensions internes. Le nord quant à lui fournit du tabac.

La France expédie pour sa part 40% des soieries, 66% des vins et spiritueux et 55% de l'horlogerie aux USA. Elle a donc le monopole des articles de luxe et la balance commerciale lui est encore favorable.

Lorsque la Guerre de Sécession éclate (1861-1865), l'impact sur le commerce Français est non seulement considérable, il est surtout durable. Voici ce qu'observe Claude Fohlen dans son article 'La Guerre de Sécession et le Commerce Franco-Américain' publié en 1961 dans La Revue d'Histoire Moderne & Contemporaine' :

1) Blocus du sud : le coton n'approvisionne plus l'industrie textile française qui connaît une crise sans précédent et les vins et spiritueux ne peuvent plus entrer dans les territoires contrôlés par la Confédération. De plus, les bateaux qui commercent avec les USA sont anglais ou américains, l'absence d'une flotte française va fortement compromettre sa présence commerciale pendant et après la guerre.

2) Tarifs protectionnistes : à la recherche de fonds pour financer la guerre et la reconstruction, l'Union vote la taxation des vins (+50%), des spiritueux (+25%) et des soieries (+40%). Par conséquent, le cognac recule devant les eaux-de-vie locales et on enregistre une baisse des ventes de -75% de ventes des eaux-de-vie et -20% des vins. Malheureusement pour la France, les tarifs protectionnistes ne sont pas abrogés après la guerre...

3) Industrialisation des USA : se traduit par une perte d'influence de la France. Les droits de douanes encouragent la production locale de textile et de spiritueux. On observe surtout une falsification à grande échelle de spiritueux produits sur place et se faisant passer pour du cognac.

4) Inertie de la France : pourtant présente naturellement avec ses anciennes colonies du Canada, de la Louisiane et du Mississippi, ainsi que grâce à son action déterminante lors de la guerre d'indépendance des Etats-Unis, elle est battue sur le terrain de ses exportations traditionnelles par des jeunes concurrents dont l'Allemagne, la Suisse  et l'Angleterre pour le textile. Les Anglais contrôlant le trafic maritime, (rappel : pas de bateau français !), ils choisissent de commercer avec des fournisseurs moins chers et d'inonder les USA en guerre via des chemins de contrebande par le Canada.

Au sortir de la guerre civile américaine, la France ne conserve plus qu'un tiers des ventes des vins et spiritueux par rapport aux volumes d'avant-guerre. Le marché US devient même un marché secondaire pour la France entre 1865 et 1900 ! Au début du XXème siècle, le niveau des ventes ne dépasse même pas celui de 1850...

Claude Folhen de conclure ainsi son article : "l'Amérique industrielle peut se passer de l'Europe et de la France, sans que la réciproque soit valable".

La Guerre de Sécession a vu l'émergence d'un nouvel empire, il n'est pas à exclure qu'une nouvelle sécession au sein d'une Amérique post-industrielle en 2024 ne marque définitivement son déclin.

Jérôme Savoye

(Ecrit sans IA)